Entretien avec Laurent Hermoye, CEO d’Imagilys, société belge spécialisée dans l’imagerie cérébrale.
Je suis d’abord ingénieur de formation, et je me rappellerai toujours de ce premier cours d’économie politique où l’on vous martèle l’hypothèse de base, le fondement de toute cette discipline : « Les agents économiques sont rationnels ». Or, les agents ne sont PAS rationnels ! Ce constat a mené aux travaux de finance comportementale, qui étudie l’influence de la psychologie sur la finance de marché. Ce domaine m’intéresse effectivement.
Dans ce livre, Kahneman explique que le cerveau est constitué de deux systèmes : le « système 1 » et le « système 2 ». Notez qu’il utilise cette terminologie très neutre sans doute à dessein – sans opposer émotion et raison ou système limbique et frontal. Ainsi, le « système 1 » est le système rapide et intuitif. Il est à l’œuvre dans nos décisions quotidiennes, par exemple lorsqu’il s’agit d’acheter un pot de Nutella au supermarché. Le « système 2 » est quant à lui lent et rationnel. C’est le système de référence pour les décisions que nous jugeons plus importantes, comme par exemple un changement de carrière.
Oui, la nature est bien faite. Imaginez si chacune de nos décisions devait être prise grâce au système 2, en pesant systématiquement le pour et le contre… Ce serait parfaitement invivable ! Le problème est que, dans certains cas, le système 1 prend le dessus sur le système 2, et notre cerveau prend des raccourcis.
On les appelle les biais cognitifs et il en existe une multitude. Par exemple, le biais de disponibilité dépend de la vitesse à laquelle un exemple nous vient à l’esprit pour évaluer une probabilité. Si je vous avais dit en juin 2020 que mon oncle de 75 ans était mort en toussant, vous auriez sans doute directement pensé au Covid… C’est évidemment un raccourci !
Tout à fait. Prenez par exemple l’effet de disposition. Dans votre portefeuille, vous avez une action d’une entreprise en difficulté dont la valeur est passée en quelques mois de 10 à 2. Votre réaction intuitive sera sans doute de la garder dans l’espoir qu’elle remonte. Or, rationnellement, vous auriez plutôt intérêt à la vendre et à acheter une autre action pour laquelle les perspectives sont plus favorables, de façon à faire remonter la valeur de l’ensemble de votre portefeuille.
Il s’agit effectivement, entre autres, du biais d’actualisation hyperbolique – « hyperbolic discounting » en anglais – par lequel nous avons tendance à valoriser davantage la récompense immédiate que la récompense future. Ce biais est renforcé par un phénomène biologique car la récompense est accompagnée dans le cerveau par la sécrétion de dopamine, un neurotransmetteur qui est hyper addictif. La dopamine est notamment libérée par le sexe, la consommation de sucres, de drogues… qui peuvent à leur tour devenir des addictions.
Oui, c’est indéniable. Une expérience en particulier en fait la démonstration, et j’aime bien la citer en exemple. Un adulte présente à un enfant un marshmallow sur une assiette et lui dit : « Je pars 5 minutes. Si tu ne l’as pas mangé quand je reviens, tu en recevras un deuxième. » Dans la grande majorité des cas, l’enfant mange le marshmallow qui se trouve devant lui.
On a tous cette tendance, ce n’est pas une maladie ! Ceci étant, il a aussi été prouvé que ceux qui parviennent à résister et à postposer la récompense ont une forme de force mentale qui est un atout dans leur vie d’adulte.
Le pari… Je suis un entrepreneur, j’aime le risque !
C’est vrai, même si le risque existe toujours en bourse. Mais une fois encore, je crois qu’il est dans notre intérêt de se forcer à considérer le long terme, surtout lorsqu’il s’agit d’épargne. En tout cas si l’on souhaite profiter au maximum de ses vieux jours !